mercredi 6 octobre 2010

David Ferzi

David Ferzi a 60 ans. Il revient en France couler une paisible retraite, après sept années passées à l’étranger pour accumuler de l’argent. Tout simplement. Ce retour définitif dans l’hexagone lui apportait déjà beaucoup de réconfort, à peine quelques jours après son arrivée. La famille proche venue l’aider à s’installer, avec sa femme et sa fille. Tout redevenait comme avant.

Un mois déjà écoulé, et les habitudes reprennent le dessus dans la vie des Ferzi. Mais qu’importe. Ces habitudes, qui s’installent généralement chez les couples en proie aux routines vicieuses, se trouvent ici délicieuses. Tout est donc rentré dans l’ordre, et finalement le confort d’une vie structurée parait parfois plus précieux que l’intensité des imprévus.

Après un réveil matinal, David se retourne, embrasse sa femme sur la joue, comme tous les jours. Il se lève, enfile ses chaussons, direction la cuisine, comme tous les jours. Trois oranges coupées puis pressées, versées dans trois verres, comme tous les jours. Une douche, le temps de laisser sa femme se lever pour manger à deux, comme tous les jours. Et après s’être brossé les dents, habillé, sa femme dans la douche, sa fille dans la cuisine, comme tous les jours, il sort se balader, jusqu’au port. Au retour, détour par le bureau de l’état civil, afin de demander de nouveaux actes de naissance pour son épouse, sa fille et lui-même. Il rentre chez lui, et comme tous les jours ouvre un bouquin bien installé dans son fauteuil, avant de préparer le repas de midi.

On sonne à la porte. C’est le facteur, pour accuser bonne réception des documents demandés. La fiche signée, la porte fermée, David ouvre le pli. Il en dégage deux actes de naissance, ceux de sa femme et de sa fille. La troisième feuille est un acte de décès. Il date du 25 août 2010, il y a deux mois. C’est le sien.

Jacqueline S. est infirmière. Elle se promène sur le port, l’air grave. Seuls ceux qui la connaissent suffisamment peuvent le savoir. Alors personne ne le sait. Il y a quatre mois, son conjoint est mort. Continuer sans lui semble un calvaire, même si elle a tout fait pour lui épargner une fin atroce. David Ferzi, son conjoint, était atteint d’une maladie rare et incurable, qui le rongeait de l’intérieur. Mais alors que les médecins estimaient sa durée de vie à plus de quatre mois, fin août, il souffrait déjà beaucoup, malgré les doses de morphine. Son corps ne pouvait plus fonctionner seul, alors si les douleurs n’étaient pas toujours physiques, elles étaient en permanence psychologiques.

Jacqueline S. ne pouvant plus supporter voir son amour souffrir, sonda les médecins alentours afin de connaitre leur propension à accepter l’euthanasie. Mais s’ils apparaissaient sensibles à ce sujet, aucun ne cautionnait cette méthode. Regarder David mourir à petit feu ne paraissait guère envisageable. Ni pour elle, ni pour lui. Après quinze jours de réflexion commune infructueuse, Jacqueline S. et David Ferzi commençaient à se résigner, et se mettre dans la tête que la vie de David ne pouvait être écourtée.

Le samedi suivant, on sonne à la porte. C’est le facteur, pour accuser bonne réception des documents demandés. La fiche signée, la porte fermée, Jacqueline ouvre le pli. Deux actes de naissance, le sien et celui de David Ferzi. Mais la photo ne correspond pas, l’adresse non plus.

Le 21 juin, David Ferzi ne respire plus. Le médecin récupère la copie de sa carte d’identité pour acter le décès. Le dernier chiffre est peu lisible. La crémation a lieu quelques jours plus tard. Le 25 août, Jacqueline S. se rend au bureau de l’Etat civil de sa commune, et effectue la demande d’acte de décès. Le lendemain, dans l’avion, Jacqueline ne regrette rien.